La voie sacrée du guerrier: comment dépasser ses peurs

Royaume mythique, Shambhala livre ses enseignements remplis de sagesse, celle de la voie sacrée du guerrier, une voie de bonté et de courage, libérée de la peur d’être soi-même.

Par Fernand Figares – Président de Nouvelle Acropole Belgique

Le royaume mythique de Shambhala

Chögyam Trungpa, reconnu comme l’une des figures marquantes de la génération contemporaine tibétaine, a su présenter au grand public, sous forme moderne, les enseignements traditionnels du royaume de Shambhala [1].

Le bouddhisme a joué un rôle important dans l’évolution de la société de Shambhala et la légende nous raconte que Bouddha Siddharta Gautama dispensa son enseignement au premier roi de ce pays himalayen.

Chez les Tibétains, une croyance populaire veut que le royaume de Shambhala existe encore, caché dans quelque vallée lointaine des montagnes inaccessibles de leur pays. Selon d’autres versions de la légende, le royaume disparut de la surface de la terre il y a bien des siècles. D’après ces récits, les rois Rigden de Shambhala continuent à veiller aux affaires humaines et ils reviendront un jour sur terre pour sauver l’humanité de la destruction. Beaucoup de Tibétains croient que le grand roi guerrier Gésar de Ling, fut inspiré et guidé par les Rigden et la sagesse de Shambhala. Gésar vécut vers le XIe siècle et régna sur la principauté de Ling dans le Tibet oriental. Ses exploits de guerrier et de souverain se répandirent après sa mort dans tout le Tibet et finirent par constituer sa plus imposante épopée de la littérature tibétaine. Selon les récits légendaires, Gésar reviendra de Shambhala à la tête d’une armée pour conquérir les forces des ténèbres dans le monde.

Selon Chögyam Trungpa, les enseignements de Shambhala se fondent sur la prémisse qu’il existe réellement une sagesse humaine fondamentale qui peut nous aider à résoudre les problèmes du monde. Cette sagesse n’est pas l’apanage d’une culture ou d’une religion. Il s’agit plutôt d’une tradition humaine de l’art du guerrier qui a existé dans de nombreuses traditions et à bien des périodes de l’histoire. Le mot guerrier traduit le tibétain pawo, qui signifie littéralement vaillant. L’art du guerrier dans ce contexte est la tradition de la vaillance humaine, la tradition du courage. Les Indiens des Plaines, les légendes des cultures précolombiennes d’Amérique du Sud, l’idéal japonais du samouraï, les chevaliers de la Table Ronde et le Roi Arthur sont tous de beaux exemples de l’art du guerrier.

Le guerrier reconnait sa peur

Le secret de l’enseignement de Shambhala est de ne pas avoir peur de soi. Cela implique une forte dose de générosité car lorsque nous avons peur de nous-mêmes et du monde environnant, nous devenons extrêmement égoïstes et nous construisons notre propre cocon afin d’y vivre seuls et en sécurité. C’est comme si nous voulions retourner à l’utérus maternel et nous y blottir pour toujours, afin d’éviter la naissance.

Aveuglés par la lumière du jour, nous préférons nous cacher dans les souterrains de notre personnalité. Nous pensons être à l’abri mais au fond de nous-mêmes, nous continuons à tressaillir de peur.

La voie de la lâcheté consiste à nous enfoncer dans un cocon pour y perpétuer des processus habituels. Constamment occupés à reproduire nos schémas de conduite et de pensée, nous ne nous sentons jamais obligés de faire un bond dans l’air libre, vers d’autres horizons. Bien au contraire, nous nous engouffrons dans la pénombre de notre propre environnement, sans autre compagnie que l’odeur de notre propre sueur.

Ce cocon humide et malsain nous paraît un héritage, un bijou de famille, et nous refusons de nous départir de ce souvenir mi-bon, mi-mauvais. Dans le cocon, il n’y a aucune forme de danse : on n’y bouge pas, on n’y respire pas, on n’y cille même pas.

C’est un endroit confortable et soporifique, un chez-nous à l’atmosphère concentrée et très familière. Le monde du cocon n’a jamais connu le grand nettoyage du printemps [2].

Nous commençons à dépasser la peur lorsque nous l’observons, lorsque nous nous mettons à examiner cette obscurité confortable, à la toucher, à la regarder. Elle change soudain de visage ! Elle n’est plus notre refuge mais notre prison et la peur devient insoutenable. Il faut sortir ! Donc, le premier élan qui fait que l’on se détourne de l’obscurité, du cocon vers la lumière est un désir d’air frais.

En effet, l’expérience du courage se fait à travers l’expérience de la peur. Pour commencer, il faut cesser de se punir ou de se condamner. Il nous faut reconnaître notre peur, en prendre conscience et nous réconcilier avec elle en sachant que l’essence de la lâcheté est de ne pas reconnaître la peur. D’ailleurs, puisque nous sommes capables d’éprouver la peur, nous pourrions également accéder à l’expérience du courage, qui ne vise pas à supprimer la peur, mais à la dépasser.

La reconnaissance de la peur nous rend mélancoliques : nous éprouvons une grande tristesse. La solitude nous embrasse et nous ressentons une lourde sensation dans la poitrine. Si nous parvenons à lâcher prise, des larmes montent aux yeux et annoncent que nous sommes prêts à faire l’expérience du courage : elles apportent le premier signe d’un authentique esprit de guerrier.

Trouver ce que nous avons à offrir

Ces larmes sont l’avant-garde de notre volonté de sortir en plein air, de notre volonté de quitter le cocon que nous avions bâti pour nous protéger de nous-mêmes. Il faut sortir et découvrir en nous ce que nous pouvons offrir au monde car le monde a besoin de nous et nous avons besoin du monde. C’est pourquoi nous devons nous efforcer d’examiner notre propre expérience afin de voir ce qu’elle contient d’utile pour ennoblir notre existence et pour aider les autres à en faire autant.

Si nous sommes disposés à y jeter un coup d’oeil impartial, nous verrons que malgré tous nos problèmes et toute notre confusion, malgré les hauts et les bas émotionnels, il y a quelque chose d’intrinsèquement bon dans notre existence d’êtres humains. Il est indispensable d’expérimenter cette racine de la bonté et de la confiance primordialement libre pour envisager une amélioration quelconque de nous-mêmes et de notre entourage. Si nous ne faisons que râler, que pleurer nos malheurs et notre misère, si nous n’avons que pitié de nous, quels droits avons-nous de demander de l’aide, de la justice ou du simple réconfort ?

Qui n’a pas ressenti le plaisir d’une bouffée d’air frais en sortant d’une pièce pleine de fumée et d’odeurs denses ? Vous rappelez-vous le premier baiser ? Une plongée dans un lac de montagne lorsque la canicule, la transpiration et la fatigue nous ont presque étouffés ! Voilà la bonté qu’il nous est donné d’entrevoir à chaque instant, mais souvent, nous ne la reconnaissons pas.

Dans l’enseignement de Shambhala, cette expérience de la bonté doit être utilisée pour découvrir en nous ce que nous pouvons offrir aux autres et débuter ainsi dans la voie du guerrier.

Pourtant il reste encore une question. Quel rapport ont ces expériences que nous avons faites avec notre expérience courante ? Nous ne pouvons pas courir de gauche à droite pour essayer de nous approprier cette bonté, moins encore de vouloir l’acheter. Dans ce cas, le problème est que l’on ne sera jamais satisfait, même si on obtient ce qu’on veut parce que nous continuerons à désirer toujours plus.

La réponse à ces questions est très simple: il nous faut lâcher prise, il nous faut de l’humour ! Notre problème est que nous prenons la vie trop au sérieux. Si nous pouvions rire de nous-mêmes de temps en temps ! De nos jours, il y a des thérapies pour la dépression basées sur le rire : il faut rire jusqu’à l’hystérie. Je n’ai pas expérimenté la technique, mais je suis certain qu’elle est bonne !

Les trois refuges

Dans le bouddhisme, nous trouvons le lâcher prise dans l’énoncé des trois refuges : je prends refuge dans le Bouddha, je prends refuge dans le dharma, je prends refuge dans la sangha.

Je prends refuge dans le Bouddha consiste à faire l’expérience de l’abandon – c’est-à-dire reconnaître la négativité comme une composante de notre être – et de l’ouverture à cette négativité. Certainement nous sommes maladroits, souvent stupides ; nous avons manqué de courage dans mille et une circonstances, nous nous en voulons à mort pour ne pas avoir réagi à temps… La liste peut s’allonger au goût de chacun. Et alors ! Nous sommes vivants ! Nous avons un enfant, une certaine intelligence, probablement un travail qui nous permet de manger et de dormir au chaud tandis que la moitié de la planète crève de froid et de faim. Nous avons trop, et nous ne nous en rendons pas compte !

Je prends refuge dans le dharma (la loi de l’existence) consiste à faire l’expérience de la vie comme elle est. Je veux ouvrir les yeux aux circonstances de la vie telles qu’elles sont réellement, et non telles que je voudrais qu’elles soient. Autrement, le monde devient un mirage brumeux dans lequel il nous faut des masques pour survivre. Nous devons réapprendre à vivre et pour ce faire, il faut ôter les masques.

Tout le monde les utilise, et tout le monde le sait. Lorsque quelqu’un se montre comme il est, il donne l’exemple aux autres et sera reconnu par ceux qui gardent encore un peu de dignité. La pire laideur se transforme par le courage et la voie de guerrier s’ouvre à celui qui se libère de la peur d’être soi-même.

Je prends refuge dans la sangha (la communauté, les compagnons) consiste à partager son expérience avec les autres mais sans dépendre d’eux, sans s’appuyer les uns sur les autres lorsqu’on avance dans le chemin. Si dans un groupe humain, les uns prennent appui sur les autres, lorsque l’un trébuche, tout le monde trébuche [3].

Se soutenir n’est pas s’appuyer. Les plus faibles doivent apporter leur effort à la communauté, même si les plus forts poussent avec plus de vigueur. Parmi les hommes, il en est de faibles et de plus forts mais les uns et les autres sont des êtres humains. L’assistance est une des maladies de notre société et lorsqu’une personne devient assistée, on tue son droit fondamental à participer au voyage de l’humanité.

Être faible n’est pas honteux et si nous regardons bien à l’intérieur de nous-mêmes, nous trouverons toujours quelque chose à partager avec nos compagnons de route et nous pourrons redécouvrir la fraîcheur de la brise pendant que nous marchons ensemble, les uns avec les autres.

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[1] Chögyam Trungpa : Shambhala, la voie sacrée du guerrier, Éditions du Seuil, 1990.

[2] Chögyam Trungpa : Pratique de la voie tibétaine, Éditions du Seuil, 1976.

[3] Chögyam Trungpa : Pratique de la voie tibétaine, Éditions du Seuil , 1976.