Le héros en nous – notre nature héroïque

La figure du Héros se retrouve dans les mythes de toutes les civilisations, de l’Iliade Grecque à la Bhagavad gita Hindoue. Cette figure se retrouve aussi dans les mythes modernes : Seigneur des anneaux, Star Wars… A tel point que l’on parle d’une figure monomythique. Si ces héros font vibrer nos coeurs, c’est que nous partageons la même nature!

Par Pierre de Bie, sur base d’une conférence donnée par Fernand FIGARES, Directeur National de Nouvelle Acropole Belgique

Le héros, homme divin

Dans la mythologie, le héros est présenté comme un être à moitié humain et à moitié divin: si un de ses parents fait partie de notre monde, l’autre appartient au monde des dieux. Nous sommes tous des héros potentiels, nous avons tous en nous ces germes d’excellence que les anciens et les bouddhistes appellent notre nature divine. Cette nature est latente et le héros va la réveiller. Il va dépasser sa condition humaine ordinaire pour en atteindre le meilleur, pour devenir un homme « divin », un être humain accompli. Bouddha, Jésus, Alexandre le Grand se sont ainsi réalisés et ont changé l’Histoire de manière durable. Selon les mythes anciens, cette durabilité est synonyme de qualité. Ce qui ne vaut pas la peine ne résiste pas au temps, Chronos le dévore.

Platon associe le terme « héros » à celui d’Éros, le dieu de l’Amour avec un grand « A » (pas à Cupidon qu’on appelle le « petit Eros »). C’est un des plus anciens des dieux grecs, à la base de la force d’attraction universelle, tant psychique que physique. Il est le dieu de la cohésion, de tout ce qui relie. Pour Platon comme pour Victor Hugo, lorsqu’on ressent cette force ancestrale qu’est l’amour réel et profond, elle va irrémédiablement nous pousser à la quête héroïque. Il s’agit d’un amour désintéressé, altruiste, qui n’attend rien en retour. Cette puissance d’union va pousser le héros à interrompre sa vie quotidienne et tout quitter pour partir vers l’inconnu. C’est l’ « Appel de l’Aventure » inhérent à toute quête héroïque. Quelle que soit leur origine et la culture dont ils sont issus, que leur mission soit de tuer un dragon, de déposer un tyran, d’acquérir des pouvoirs extraordinaires, leurs différences vont se limiter à la forme. L’essence est commune : la quête héroïque est une quête mono-mythique. Il n’y a qu’un seul modèle de héros. Il est universel, il irrigue toutes les cultures. Si les mythes semblent morts dans notre civilisation occidentale, il est certain qu’ils reviendront ; les séries télévisées et les films mettant en valeur la quête héroïque le prouvent.

Les vertus du héros

Intéressons-nous à présent aux qualités indispensables à l’aboutissement d’une quête héroïque. Tout d’abord, la LIBERTE, dans son sens stoïcien et non dans le sens libertaire qu’on lui donne trop souvent. Il ne s’agit pas ici de faire ce que l’on veut, mais ce que l’on doit. Ce n’est pas une liberté de droits acquis, mais de devoir à remplir. Elle implique une volonté de prendre en charge sa propre vie de façon à ce qu’elle ne dépende ni de qui, ni de quoi que ce soit. Cette liberté, il va falloir l’acquérir et c’est ici qu’apparaît la notion de conquête, de lutte et de guerre. Guerre pacifique, bien entendu, mais guerre tout de même, car « pacifique » n’est pas synonyme de « facile ». La lutte est, par définition, éprouvante et le héros doit fourbir ses armes pour affronter ses ennemis, quelle que soit leur forme. Ce combat va permettre au héros de développer des valeurs fondamentales, telles que le courage et l’honneur. La nature elle-même, dans toute sa beauté, est le résultat de terribles batailles entre forces sauvages : le sable est le résultat des morsures incessantes de la mer sur les rochers, les montagnes sont issues de poussées tectoniques formidables et violentes. Le héros va devoir développer les qualités guerrières adéquates aux combats qu’il devra mener. Le passage des épreuves initie le héros, lui donne les armes nécessaires à sa victoire.

Une autre qualité propre au héros est la GENEROSITE, associée à l’altruisme : le héros n’agit jamais pour lui-même, mais pour le bien de la communauté qu’il défend. Il peut mourir pour cela. Il y a de sa part un total don de soi. La mort du héros n’est pas la fin de l’histoire, elle permet parfois au destin de s’accomplir et la valeur du sacrifice au cours de sa quête va conférer au héros une dimension divine. Le Christ en est un exemple.

La recherche de l’excellence au niveau humain va faire émerger une nouvelle vertu : la NOBLESSE. Elle est le reflet du Bien selon Platon, le Bien étant la vertu ultime qui englobe toutes les autres. Elle verticalise et élève l’homme, elle l’éduque à apprendre à aimer faire le bien.

La quête héroïque: les étapes 

Charles Perrault nous offre un héros formidable : le Petit Poucet. Il illustre à merveille toutes les étapes de la quête héroïque. Avant l’appel de l’aventure, il y a une situation qui doit la motiver : c’est la guerre, les campagnes sont exsangues et les paysans vivent dans la misère. C’est le cas des parents de Poucet, le cadet d’une fratrie de sept garçons. Face à l’insupportable perspective de voir leurs enfants mourir de faim, les parents décident de les abandonner dans la forêt. Poucet a entendu leur conversation et, pendant la nuit, il a ramassé des cailloux blancs et les a semé sur le sentier parcouru, ce qui lui permet de retrouver le chemin de la maison. Les parents, d’abord heureux de retrouver leurs enfants, se voient résignés à les abandonner à nouveau et, pour éviter la cueillette de cailloux pendant la nuit, ils ferment la porte à clé. Le matin, Poucet collectionne de petits bouts de pain et, au cours du trajet, les laisse tomber un par un sur la sente. Hélas, lorsque les parents eurent disparu, Poucet se rendit compte que les oiseaux avaient mangé le pain. Voilà nos 7 garçons perdus dans la forêt en pleine nuit.

L’Aventure commence, avec ses épreuves et ses dangers : la forêt hostile, les loups, les ténèbres. Poucet escalade un arbre et distingue, au loin, la lumière d’une maison isolée. Ils y sont accueillis par la femme d’un ogre qui leur propose un bon repas et un grand lit, juste à côté de celui des sept filles de l’ogre, chacune coiffée d’une couronne d’or. Prévoyant, lorsque dort toute la maisonnée, Poucet échange son bonnet et ceux de ses frères contre les couronnes des petites ogresses. A son réveil, l’ogre humant la chair fraîche, se rue sur les enfants coiffés de bonnets et… dévore ses propres filles avant de se rendormir, repu. Poucet et ses frères s’échappent et se réfugient au fond d’une grotte devant laquelle l’ogre, parti à leur poursuite, s’assoupit, se déchaussant de ses bottes magiques, les fameuses bottes de sept lieues. Poucet les enfile et, par magie, les bottes s’adaptent à ses pieds. Il en profite pour ramener ses frères à la maison et retourne chez l’ogresse pour s’emparer, toujours par ruse, du trésor de l’ogre. Les parents pleurent de joie de revoir leurs enfants et, grâce au trésor et aux bottes magiques, le village tout entier est sauvé de la précarité.

Voilà pour l’histoire. Voyons-en à présent les principales étapes :

  • L’appel de l’aventure et la motivation de la quête : l’inadaptation sociale, la pauvreté des parents et de tout le pays à cause de la guerre. La motivation première de Poucet va venir du fait qu’il ne peut pas se résoudre à mourir avec ses frères dans la forêt. Sa quête va d’emblée être altruiste : sauver ses frères. Dans nos sociétés modernes, en l’absence d’exemple mythique, nous pouvons répondre à cette inacceptation par des quêtes très individuelles : développement personnel, bien-être, coaching… qui ne visent pas à sauver la collectivité mais essentiellement nous-mêmes. C’est un détournement de notre nature héroïque, comme si nos sentiments de Noblesse avaient été rabotés à l’aulne de notre petite personne. Notre espoir réside dans le fait que notre situation améliorée pourrait avoir sur nos proches et le monde un effet comparable à un rayonnement passif. Sa première mission sera de sauver ses frères. Il va réussir mais ne va pas s’arrêter là : il va ensuite dérober le trésor de l’ogre pour sauver son village.
  • Fourbir ses armes : il y a contraste, dans le conte, entre l’importance de la quête et la fragilité de Poucet. Pour compenser son apparente faiblesse, il va faire appel à ses armes psychologiques : sa ruse, son intelligence. Il va rechercher ses propres potentialités. C’est l’éducation qui nous permet de développer celles-ci et cette éducation peut se faire à tout âge. Nous possédons tous en nous des germes d’humanité qui n’ont pas été cultivés.
  • Passage dans un monde extraordinaire : la forêt, la maison de l’ogre. La mort accompagne le héros et mourir ne signifie pas la fin de son aventure. Le héros méprise la mort et fait le deuil de sa propre tombe.
  • Le combat : comme nous l’avons vu, il offre l’occasion de développer des valeurs humaines : courage, solidarité, don de soi, … C’est l’Initiation. Si le candidat réussit à vaincre les épreuves, il dépasse son état originel pour passer à un état supérieur. Il y a mort à l’état inférieur et renaissance au niveau supérieur. L’épreuve fait grandir. C’est ce qui se passe à toutes les étapes de la vie dans une société traditionnelle : passage de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte et enfin à l’âge mûr.
  • Le trésor : symboliquement, il représente les vertus et les qualités humaines que la quête aura permis au héros d’obtenir. Lorsque la générosité est acquise, elle devient un besoin, elle devient naturelle et nécessaire pour vivre heureux. La possession des qualités implique la nécessité de les partager avec les autres. Dans le mythe de la caverne de Platon, ceux qui sont sortis de la caverne ont pour but d’aider les autres à en sortir à leur tour. Ils y retournent, renonçant à la lumière, pour aider les autres. C’est la nature pédagogique du héros. Par son aura, il devient l’archétype de l’exemple à suivre. L’Iliade d’Homère a servi de modèle d’éducation pour les jeunes jusqu’au début du vingtième siècle.
  • Le retour au village : le héros n’agit pas pour lui-même, il agit dans l’intérêt de tous.

Avant d’être abandonné par ses parents, le Petit Poucet ne savait pas qu’il était un héros en puissance. Nous avons tous en nous une nature héroïque. Elle ne demande qu’à être éveillée.